PLÉBINS ( 1861-1909 )
Plébins n’était pas scatologue.
Siméon Deplébins, né le 30 octobre 1861 à Saint-Léonard en Haute-Vienne, est un chanteur, compositeur et auteur français de café-concert. Il se fait connaître sous le nom de Plébins, avec des chansons comiques réalistes. Il a du succès et passe au Folies-Rambuteau, au café-concert du Cadran, à la Scala, aux Ambassadeurs, mais surtout à L’Eldorado, l’un des plus importants cafés-concerts parisiens. Il se fait bientôt une spécialité des monologues, qui constituent bien la moitié de son répertoire. Souvent écrites par Delormel et Garnier, ses histoires sont scabreuses et s’amusent avec la censure.
Dans La ménagerie Bidon, une scène comique écrite par Cellarius, que Plébins monologue à la Scala, il décrit certain animaux :
Vous y verrez, mesdames et messieurs, le terrible rhinocéros des Indes, le seul qui sache exécuter la danse du ventre. Cet animal a la peau si tellement tendue que quand il ouvre la bouche, il est obligé de fermer le contraire…
Ce sont les paroles officielles du petit format, celles-là mêmes qui avaient été approuvées par la censure, qui en avait autorisé son interprétation, pour un certain nombre de fois, par Plébins à la Scala. Les censeurs venaient eux-mêmes vérifier la parfaite application des artistes à respecter leurs implacables directives. Pourtant, les cafés-concerts étant beaucoup plus nombreux que les censeurs, les contrôles étaient épisodiques. Quand l’un d’entre eux était là, cela se savait, et l’artiste, s’appliquant à ne pas être mis à l’amende, réprimait même ses gestes. Au bon moment, un sourire, ou un regard un peu appuyé, pouvaient souligner un mot, de manière à diversifier son interprétation, généralement scabreuse. (Yvette Guilbert toussait !)
Dès que les censeurs avaient tourné le dos, les choses étaient bien différentes. N’oublions pas que nous sommes dans des établissements enfumés où l’on consomme de l’alcool… Le public enthousiaste en réclamant toujours plus, certains artistes, quand ils le pouvaient et qu’ils en sentaient la nécessité, pimentaient leurs monologues ou leurs chansons de mots salés de leur cru. Ainsi Plébins aurait très bien pu réciter l’extrait de La ménagerie Bidon en remplaçant le mot « contraire » par celui plus efficace de « derrière » !
Les allusions au domaine du « derrière » sont fréquentes dans le répertoire de Plébins. Dans Un poivrot qu’a mangé du chien, une chansonnette monologue de Delormel et Garnier, il nous raconte les aventures d’un alcoolique :
Or, comme au lieu d’suivr’ la lign’ droite
Il marchait tout le temps à r’culons,
J’dis : – Tu tourn’ le dos à la boite,
Fais attention à tes fum’ rons.
Mais y m’répond : – D’quoi qu’ tu t’immisces ?
Si je marche en arrièr’ vois-tu,
C’ est qu’ j’ai mangé des écrevisses…
Là-d’ssus il r’lâch’ son superflu…
Et dans Le biffin de Delormel et Garnier :
Dir’ qu’y a des gens en haut d’ l’échelle
Qui boiv’ nt chaqu’ jour du Chambertin !
J’ n’en ai bu qu’ un’ fois, j’ me l’ rappelle,
C’ est l année où j’ai pris un bain.
Les deux avares est encore un texte de Delormel et Garnier. Ce monologue raconte l’histoire du père Gripp’sou et de son futur gendre. Ils discutent à la veille des noces. Et se retrouvent dans la nuit complète. Gripp’sou étant si avare, qu’il a éteint la seule lampe, juste pour économiser l’huile !
D’ vant une avarice aussi sombre
Moi j’ai r’ tiré mon pantalon
En pensant : Puisqu’on est dans l’ombre
C’est pas la pein’ que j’us’ le fond.
Nous causions d’ puis une heure entière.
Sans y voir clair, de nos projets,
Et j’étais toujours en bannière
Quand j’sens un p’ tit courant d’air frais.
Ma fiancé’ v’ nait d’ouvrir la porte
Avec un bougeoir allumé…
Là-d’ssus la voilà qui s’emporte
En m’ voyant en déshabillé.
Moi j’ lui dis – Mamzell’ Virginie,
Faut pas vous fâcher pour ceci,
Car c’est un’ preuv’ d’économie
Qu’ j’ai voulu vous donner ici.
Comm’ vot’ papa ménageait l’huile
Moi j’ai ménagé mes habits
Et ma foi sans me fair’ de bile
Profitant d’ ça je m’ suis assis
Sur l’étoff’ que j’ tiens d’ la nature
Parc’ que du mois cette étoff’ là
S’il se déclare une ouverture
J’ en ai d’ rechang’ tant qu’on voudra.
En 1893, il chante L’Obsédé à L’Eldorado, une chansonnette écrite par Delormel en hommage à Joseph Pujol le célébrissime pétomane, qui fait alors sensation au Moulin Rouge.
Ces pantalonnades à répétition vont avoir la fâcheuse conséquence de lui coller l’indécrottable étiquette de spécialiste de la scatologie ! Il ne l’avait pourtant pas cherché. Ne s’appliquait-il donc pas à satisfaire les goûts du public ? Il avait même commencé par Une leçon de politesse, où il se moquait des Anglais… Ce titre infamant de scatologue, qu’il trouve injustifié et bien trop réducteur, va le rendre amère et dépressif.
Le magazine Le panorama, Paris qui s’amuse, les cafés-concerts numéro un nous donne de ses nouvelles. Sous une photo de lui dans un rôle de poivrot, on lit ces quelques lignes :
Comique excentrique, pince-sans-rire, spleenetique… M. Plébins, las de l’existence, voulut aller à la recherche d’un monde meilleur. Ressuscité par miracle, il se résigne à vivre et à chanter. Il est excellent dans les pochards.
Son répertoire va se composer de cinq séries, et va compter un assez grand nombre de chansons/monologues. Les sujets sont variés. Les coupures de la censure porte le numéro 119.
Le 54 c’est une chanson monologue, L’anarchiste, et c’est à nouveau de Delormel et Garnier.
Oui parfait’ ment j’ suis anarchisse,
Je d’ mand’ qu’on supprim’ les abus;
Je d’ mand’ à c’ qu’on nous fass’ justice…
Non, pas d’ justice, y n’en faut plus.
Ca gên’ ceuss’ qu’ est dans la mélasse…
La mélass’… d’abord n’en faut plus
Les patrons doiv’ nt céder leur place
Puis des patrons… y n’en faut plus.
Ils s’ font construir’ des grand’ s bâtisses,
Les bâtiss’ s… d’abord n’en faut plus,
On log’ ra comm’ les écrevisses…
Puis les écreviss’ s… n’en faut plus.
Ca sert à nourrir des cocottes,
Des cocott’ s…Ah ! non n’en faut plus;
Ell’ s n’ font qu’ vous tirer des carottes…
Puis des carott’ s… y n’en faut plus.
Tout l’ monde y bouff’ ra d’ la morue…
Non, d’ la morue, y n’en faut plus.
Y’ en a déjà trop dans la rue…
Et puis les rues, y n’en faut plus.
On fourr’ des noms d’ saints sur leurs plaques…
Des saints… Ah ! non y’ n’en faut plus,
Sauf ceux des femm’ s sous leurs casaques…
Mais des casaque’ s… y n’en faut plus.
Les corsag’ s… ça me scandalise,
Des corsag’ s… d’abord n’en faut plus,
Suffit d’êtr’ vétu d’un’ chemise…
Et puis des ch’ mis’ s y n’en faut plus.
Sur l’ plastron des notair’ s ça brille.
Puis des notair’ s y n’en faut plus;
Comm’ des croqu’ -morts on les habille,
Puis des croqu’ -morts, y n’en faut plus.
Chacun il s’enterr’ ra soi-même,
Des enterr’ ments… non, n’en faut plus;
Faut plus rien… plus d’ terr’ plus d’ système
Plus d’homm’s, plus d’ femm’ s… y n’en faut plus.
Faut qu’ y ait plus qu’ des socialisses,
Quand l’ démolissag’ s’ ra complet,
Eh ! bien, nous, les brav’ s anarchisses;
Nous rétablirons c’ qu’ y avait.
1894. le 12 janvier, dans «Le Mirliton» d’Aristide Bruant :
Une gentille artiste, une femme charmante vient de disparaître.
C’est avec une douloureuse stupéfaction que nous avons appris la mort presque subite de Mme Jeanne Veyral – dite Yvonne Fréder – Plébins.
La pauvre enfant n’avait que vingt-trois ans !
( Elle a donc dix ans de moins que Plébins, elle doit donc être une sœur ou une cousine.)
On peu dire qu’en artiste vaillante elle a sucombé sur la brèche, elle a répété jusqu’au bout le rôle important qu’elle devait créer dans «Cousin-Cousine» aux Folies-Dramatiques, la veille de la répétition générale, ses forces l’ont trahie, le mal a été le plus fort, et la «petite» Fréder, comme on l’appelait, a prit le lit pour ne plus le quitter…
Ses obsèques ont eu lieu au milieu d’une affluence considérable. Les couronnes des Folies-Dramatiques, de l’Eldorado et de la Scala ont été très remarquées.
Dans la foule, reconnu beaucoup d’auteurs, de journalistes et d’artistes. Citons au hasard : Mmes Guyon fils, Tusini, Anna Thibaud, Debério, Stelly, Aline Vauthier, Valti, Bonnaire, Balthy, Nerson, Lancy, Damont, Junca, Nancy, Vaunel, Brigliano, Gidon-Lynnès, etc, etc. , MM. Varney, Ordonneau, Patusset, Delormel, Garnier, Bataille, Chaudoir, Thibaut. A. de Jallais, Georges Mathieu, Léon Maillot, Henry Moreau, Gerny, parmi les auteurs, MM. Brigliano, administrateur de l’Eldorado, Maxime Guy, secrétaire général, et Febvre, régisseur du même Concert, M. Roger, directeur de la Pépinière, puis MM. Riga, Vauthier, Guyon fils, Vavasseur, Guy, Mesmaecker, Rocher, Jourdan, du théâtre des Folies-Dramatiques, MM. G. Liesse, du Palais-Royal, et Landrin de la Gaîté.
Les artistes de concert étaient encore plus nombreux : MM. Vaunel, Sulbac, Teste, Ducreux, Bannière, Maurel, Libert, Limat, Garçon, Perrin, Caudieux, Ouvrard, Polin, Mathias, Eugenio, Chavat-Girier, Chambot.
Le «Mirliton» adresse ses plus vif sentiments de condoléance à M. Plébins dont la douleur faisait peine à voir.
Le 9 octobre 1895, un vaudeville-opérette en un acte est joué à L’Eldorado, c’est Brigand de gendarme. C’est écrit par Plébins, mais ça ne restera pas dans les annales. Dans L’Art lyrique et le music-hall : Journal indépendant des cafés-concerts du 30 octobre 1898, Valérien Tranel, l’illustre co-auteur du Roi des andouilles, a des mots assez durs pour notre artiste :
M. Plébins s’est dit sans doute : « Dans un établissement aussi chic, il faut que je me fasse un type de poivrot mondain » et il dit deux vieux monologues……..une création ancienne de Plébins, au temps où Plébins créait…
Heureusement sa vie sentimentale se passe plutôt bien. Il a rencontré une jeune artiste de café-concert qui chante dans le genre Judic des chansons gauloises et fines à la fois, toujours de bonne compagnie. Elle s’appelle Deberio et va devenir une vedette en 1892 au théâtre Célestin de Lyon, dans le rôle-titre de Miss Hélyett. Créé deux ans plus tôt à Paris, par Biana Duhamel aux Bouffes-Parisiennes, Miss Hélyett, une opérette de Maxime Boucheron et Edmond Audran, va être un énorme succès populaire.
C’est l’histoire d’une jeune anglaise très prude, qui, lors d’une villégiature en montagne, chute dangereusement mais est sauvée par ses jupons qui la retiennent miraculeusement accroché à un arbre perché, lui cachant le visage, mais lui dévoilant le postérieur. Elle ne verra pas celui qui la sauvera, qui lui ne verra que ses fesses… Comment expliquer cela à son père pasteur ? Ne va-t-elle pas devoir épouser celui qui désormais connaît son intimité ? Mais qui est-il ? Et comment pourra-t-il la reconnaître ? Autant de questions amusantes que les trois actes de la pièce soulevaient gentiment. Deberio allait être éblouissante dans son interprétation. Les critiques sont unanimes. Plébins est bien d’accord, il l’épouse et lui fait un enfant. Une charmante fille qui fera plus tard une petite carrière sous le nom de Delmarès.
En 1898, alors que Plébins se voit refuser son entrée à la SACEM, sa ravissante épouse joue Alesia dans La Poupée et Denise dans Mam’zelle Quat’sous, tous deux au Théâtre de la Gaité. En 1901 elle atteint les sommets en partageant l’affiche du Chatelet avec Pougeaud pour une reprise du Voyage dans la lune d’Offenbach, d’après Jules Verne. Georges Mélies en fera l’année suivante une féerie cinématographique. Un film mythique qui fera découvrir et aimer le cinéma à plusieurs générations de Chaplin en herbe.
Plébins veut lui aussi faire du Théâtre. Il aimerait effacer cette infamante étiquette de scatologiste, et aspire à un peu de respectabilité. Il écrit aux puissants frères Isola, les fameux directeurs de Music hall :
J’apprends que vous devez jouer l’opérette à L’Olympia en mai et juin; Si par hasard vous aviez un rôle convenable pour moi, étant donné que je ferais du théâtre, je vous ferais des conditions spéciales.
Las d’attendre un hypothétique engagement, il se lance comme beaucoup de ses collègues, dans l’édition de chansons en petit format, d’abord son propre répertoire, puis celui de Gueteville. Il édite ainsi quelques débutants, comme le troupier René Raoult, avec sa chansonnette Quand la classe viendra.
En 1900, il a un petit rôle à jouer, perdu parmi nombre d’autres comédiens, dans la reprise de La Demoiselle de chez Maxim à Parisiana. En octobre 1902, il sera encore à l’affiche du Casino de Paris pour la revue La Loie Fuller* Hé! Hop ! Il partage la vedette avec la belle Suzanne Derval, Perrin, Raiter et Debério, sa femme à qui il doit peut-être un peu cet engagement inespéré.
1902. le 25 septembre dans le «Gil Blas» :
Déberio. – La pimpante et jolie commère qui mènera allègrement «Hé ! Hop !» jusqu’aux confins les plus reculés du succès. Deux grand yeux qui brillent sous ses bandeaux de moire, des grâces mignardes de poupée, un entrain de tous le diables, une voix de cristal, un chic énorme. Son histoire n’est plus à écrire : je me souviens de la première apparition de la «petite Debério» sur la scène des bouffes : elle fut triomphale.
Depuis, elle nous a conduits de ravissement en ravissement, aux Folies-Dramatiques, à la Gaîté, récemment, dans «le Voyage de Suzette», au Châtelet, où on s’étonnait qu’une aussi mignonne artiste pût emplir des sonorités de sa voix une aussi vaste salle.
Admirez-là, applaudissez-là, mais n’y touchez pas, vous vous feriez une affaire avec Plébins, son sympathique et amusant camarade de scène, qui a sur elle les droit les plus légitimes.
Plébins est de moins en moins sollicité, en 1907 il apparait toutefois dans « Paris qui chante » pour un dernier « succés » : « Le chantre de Saint-Cucufa » qu’il a créé à l’Eldorado.
Sa fille fait ses débuts sur scène avec maman en 1908 à la Cigale dans Paris à la Diable, au côté d’Alice Bonheur et Desiré Pougeaud. La même année, Plébins chante une dernière fois, malade, à la Boîte à Fursy.
Il meurt le 09 septembre 1909, à son domicile du Boulevard du Temple à Paris. Il avait 47 ans.
E. Rouzier-Dorcières écrit sa nécrologie pour le «Comoedia» du 10 septembre :
Plébins est mort !
Les uns vont dire avec cette belle insouciance des gens qui vivent vite et n’ont pas le temps de se souvenir :
– Tiens ! On le pensait disparu depuis longtemps !
Les autres, ceux qui n’ont pas connu le café concert, il y a vingt ans, vont s’étonner :
– Qui ça ! Plébins ? Connaissons pas !
C’est cependant une figure marquante qui s’en va ! Certes, je sais bien que ces dernières années, son nom ne reparut plus sur l’affiche, mais quel succès autrefois fut le sien ! Quels rires, il souleva avec son «genre» ahuri, beaucoup copié depuis, jamais égalé, quels moments de grosse gaîté il nous fit passer, jadis, quand, au music hall, on le voyait apparaître avec son air d’une stupidité malicieuse, chantant – ou plutôt, parlant en marge de la musique – des chansons dont les deux derniers vers, revenaient, lancinants comme un spasme.
Après une ritournelle, il entrait dans le grand silence de la scène où il projetait les ombres cauchemardantes de sa petite taille et de suite, on riait.
On riait parce que Plébins avait une telle allure et un tel accoutrement, qu’à sa vue on ne pouvait pas faire autre chose.
Avec sa grosse tête sur un petit buste, il avançait en pleine lumière, vers le trou du souffleur, sa face ahurissante où le nez – un nez solide, trapu et trop vigoureusement charpenté formait une proéminence sur des lèvres minces.
Au coin de sa bouche, toujours, un cigare éteint. Ce cigare ne le quittait jamais ! Il était incrusté à ses lèvres, comme le coquillage au rocher, et, dans les moments les plus mouvementés de son débit, quand cette bouche s’ouvrait, s’étirait où se plissait, le cigare, l’éternel cigare éteint, demeurait dans les miracles d’un déconcertant équilibre.
Il montait vers le nez, en manière de défi, il était menaçant comme une épée et gonflé d’orgueil comme un paon… Mais brusquement – après cette attitude à la Cyrano – il s’affaissait et plongeait vers la rampe, lamentable hampe d’un drapeau désormais déserté. Cela signifiait que Plébins – dans sa chanson – était la victime de quelque trahison de sa femme !
Ce cigare était tout un monde : une façon d’objet pensant, reflétant les joies, les colères ou les déceptions de son propriétaire à un point qu’on ne savait pas ce qu’il fallait le plus admirer:où du langage muet de ce «mégot» ou de la bouche à laquelle il était rivé et qui, durant ce temps, on le pense bien, s’occupait à débiter les choses les plus folles du monde.
Pour les dire, Plébins avait à son service, une voix unique, une voix qui, comme l’aurait dit Montépin «n’avait rien d’humain !»
Cette voix, en effet, tenait le juste milieu entre le mirliton, la crécelle et le barrissement de l’éléphant. Elle éclatait comme si elle sortait d’une trompe de pachyderme où mourait, en petit sons, comme si elle était la plainte de la vielle auvergnate.
Et l’assistance se tordait : Et c’étaient les beaux jours de Plébins dans «J’suis professeur de trompette de tramway !» ou bien dans «J’ramasse des crottins d’chevaux de bois !»
Ah oui ! Il eut du succès, celui-là, avec sa jaquette courte, ses chemises roses et son petit pantalon étriqué.
C’était les temps heureux où Paris et la province acclamaient son nom ! Il y a, quelques douze ans, il «se mit» à la revue. Il fit à cette époque, les délices de Paris. On lui accolait généralement pour compagnon, ce bon comique qui s’appelle Jacquet. On juge de l’effet que pouvait produire la juxtaposition de ces deux hommes.
Mais, un jour, brusquement la maladie survint.
Plébins se retira de la scène. Il était d’une tristesse noire, incapable d’un effort, ne trouvant goût à rien.
Les médecins diagnostiquèrent, à ce moment «neurasthénie».
Depuis, ils dirent «diabète maigre».
Et le mal le rongea. Cet homme qui avait été la joie de Paris faisait peine à voir. Chaque jour il constatait les effrayants ravages d’une maladie qui fait plus de cadavres que de convalescents. Le pire, c’est qu’il se rendait compte de son état.
La dernière fois que je m’en fus, chez lui, boulevard du Temple, il hocha la tête :
«Mon vieux, je suis fini ! J’ai maigri d’un kilo en une semaine !» me dit-il.
Sa femme qui fut pour lui d’un dévouement à nul autre pareil, sa femme, la charmante divette Debério, au coeur si charitable à ses souffrances, cherchait à le tromper :
– N’en croyez pas un mot ! Plébins se porte mieux depuis quelque temps. Et vous verrez que d’ici peu, il remontera sur la scène !
Mais lui, promenant sur sa propre personne un regard qui sait et constate ses détresses, hélas, visibles :
– «La petite» s’abuse, pour me faire plaisir, me répondait-il, mais ça ne me trompe pas vois-tu !
Remonter sur la scène, certes, tu penses si je veux y remonter ! Mais je suis fichu. Il y a quelque temps, un théâtre du boulevard m’a offert un rôle dans une pièce où je devais être le «jobard» rêvé : J’ai accepté !… Au bout de quelques répétitions j’ai rendu le rôle.
J’étais crevé, rien que de donner un peu de voix à un passage qui, cependant, n’en demandait pas beaucoup… c’est la fin !…
Plébins qui est le père de Mlle Delmarès, laquelle a de beaux et francs succès au music-hall, s’est éteint, hier soir, 40, boulevard du Temple, dans un logis tout ouaté de soins et tout peuplé de souvenirs d’antan.
Il convenait à «Comoedia» de consacrer à cet homme qui tint, à une certaine époque, le sceptre du rire au café-concert, autre chose que la courte note banale d’un communiqué mortuaire.
Et je l’ai fait d’une plume sincère, sans phrases, de cette plume qui, depuis que notre journal existe, salua, ici, les disparus de la rampe : Plessis, Paulus, et tant d’autres…
Sébastien Riond Octobre 2016-2020